Le Niger a un faible contrôle sur ses importantes réserves naturelles d’or. La seule mine d’or exploitée de façon réglementaire dans le pays ne représente qu’une infime partie de la totalité de l’or extrait au Niger. Le trafic d’or issu de l’orpaillage clandestin continue sa prédominance au bonheur des acteurs du crime organisé et des Émirats Arabes Unis, sous le regard impuissant du gouvernement. Qui sont les acteurs de l’orpaillage clandestin ? Comment fonctionnent leur réseau ? Qui sont leurs complices ?
Cartographie de l’orpaillage au Niger :
L’or est exploité dans les régions de Tillabéry à l’Ouest et celle d’Agadez au Nord. Dans ces deux régions, plusieurs localités sont concernées par l’orpaillage clandestin. Pour la région de Tillabery, il s’agit de Komabangou, Tamou et Samira ainsi que les localités situées le long de la Sirba. Pour la région d’Agadez, il s’agit de Fasso et Amziguer (Tabelot, Tchirozérine), Djado et Chirfa (Bilma) et Tibarkaten (ou Tabarkat), Takoulkouzat (Iférouane).
Cartographie suivante donne un aperçu des zones d’exploitation de l’or au Niger.
Plus de 95% de l’or exporté du Niger, n’est pas déclaré (UN, Comtrade) : trafics illicites, énormes fuites de capitaux !
Selon les données commerciales des Nations Unies, en 2022, le Niger n’a exporté que 1858kg d’or à destination de Dubaï pour une valeur de 37,38 millions de dollars. Pourtant la même source rapporte que les Émirats ont importé du Niger (données miroirs), une quantité d’or de plus de 2239 millions de dollars, soit l’équivalent de 42,4 tonnes
Source : UN Comtrade
En d’autres termes, seuls 4,38%de l’or exporté à partir du pays, a été déclaré en 2022. Cela représente un écart important évalué à près de 41 tonnes. En valeur marchande, c’est plus de 1100 milliards de FCFA (Plus de 1/3 de budget du Niger qui était de 2908,589 milliards en 2022).
Une analyse des données des Nations Unies montre que ces écarts ne font qu’augmenter depuis 2013 (figure ci-haut). Sur toute cette richesse, le Niger ne bénéficiera que de la taxe sur la réexportation (R.S.E, 3%) et de l’impôt sur le bénéfice (ISB, 3%). Cela parce que cet or n’est pas déclaré produit au Niger, auquel cas d’autres droits de douane (19% pour la TVA) seront appliqués. Ces écarts témoignent de l’ampleur du trafic lié aux activités illicites d’orpaillage clandestin comme l’indique le graphique suivant :
On peut noter d’une part, un large écart entre la production industrielle et la production artisanale de l’or notamment à partir de 2019, et d’autre part, entre l’exportation déclarée par le Niger et celle déclarée par DUBAI.
Parmi les compagnies qui exportent la grande majorité de l’or produit ou transitant par le Niger, on peut noter des sociétés telles que Safior et la Compagnie minière du Niger (Comini). Cette deuxième société est basée à Dubai avec une représentation locale au Niger. Le cadastre minier du Niger indique que la compagnie détient un permis semi-artisanal (Exposition minière à petite échelle, EMAPE).
L’ONG SWISSAID affirme que l’exportation de l’or issu de l’orpaillage clandestin n’a fait qu’augmenter ces dix dernières années. Selon une étude qu’elle a réalisée, le volume d’or exporté illégalement à partir de l’Afrique a doublé ces dix dernières années (435 tonnes). C’est l’équivalent de 40 % de la production du continent.
Données ITE-Niger
SWISSAID souligne une concentration du trafic dans trois pays de l’Afrique occidentale à savoir le Ghana, le Mali et le Niger. Ces deux derniers pays possèdent des gisements important du metal jaune mais dont l’exportation se fait dans des regions en proie à des activités des groupes armés. Comment l’or sort-il du pays ?
Le circuit de la contrebande !
Les pays comme le Niger sont à la fois des pays de production et de transit. Les temoignages des orpailleurs, récoupés au données douanières et celles revéllées par SWISSAID nous premettent d’identifier trois circuits.
Le premier consiste à achimner l’or vers la capitale pour le revendre à des sociétés étrangères basés à Niamey, ces dernières l’exporte hors du pays, à destination de Dubai. Les orpailleurs ayant travaillé sur le site de Djado indiquent que les orpailleurs de nationalité nigérienne, préfèrent exporter leur or vers Niamey via Agadez. “ Des fois, les gens collectent l’or pour l’acheminer à Dirkou à travers un convoi. Il y a un hélicoptère qui achemine vers Agadez. Et D’Agadez vers Niamey ’’.
La grande partie de l’or du Djado prend la destination des pays tels que le Tchad et le Soudan. “ Pour les Soudanais et les Tchadiens, ils préfèrent ramener et vendre chez eux. Ils passent par la Libye ou par le Niger à travers Bilma ’’, rapporte Najib Harouna, originaire de la région de Zinder. Celui-ci a séjourné sur les sites de Djado et Chirfa.
Le troisième circuit est celui qui concerne l’or produit dans la région de Tillabery, en proie aux activités des groupes armés djihadistes. Cet or est revendu à des revendeurs basés sur place qui l’achemine soit à Niamey, ou lorsque cela est possible, vers le Burkina Faso ou le Mali. Selon l’acteur de la société civile Mounkaila Harouna, « ceux qui détiennent les comptoirs sont de nationalité étrangère et ils sont installés à Niamey ».
Le rapport SWISSAID indique que cet or passe généralement soit par la voie terrestre en passant par le Sahara Nigérien et la Lybie à destination de l’Europe via la méditerannée, soit en passant par les pays disposant d’un accès à la mer. C’est le cas notamment du Benin, du Togo, de la Cote d’ivoire et du Nigeria. Une partie de cet or passe aussi par l’Afrique centrale à destination des pays ayant une flotte aerienne importante pour le transporter par voie aerienne. C’est le cas de l’Ethiopie et de l’Afrique du Sud.
Des responsabilités au haut niveau!
Le risque lié à cette contrebande s’explique surtout par l’insécurité, la distance et/ou l’étendue du désert qui sépare le sites d’orpaillages et les centres de commercialisation. Selon l’orpailleur Najib, “ Il y a des FDS un peu partout dans la zone… mais les bandits maîtrisent la zone et savent comment les contourner. Et lorsqu’ils vous interceptent, ils vous conduisent très loin pour vous dépouiller ». Il rapporte que lorsqu’ils avaient quitté Agadez, ils ont été attaqués « par des bandits vénus à bord de véhicule neufs lourdement armés, à seulement moins de 85km d’Agadez ».
Ce trafic suggère aussi la possibilité d’une implication des personnes biens placées y compris au niveau du circuit aeroportuaire. En février 2022, 122 kg d’or collectés par des d’orpailleurs ont disparu suite à l’attaque de leur convoi dans le Nord d’Agadez par des individus armés non identifiés pourtant sécurisé par des Forces de Défense et de Sécurité nigériennes. En octobre de la même année, un vehicule avec à son bord 12kg d’or a été braqué en plein centre ville d’Agadez alors qu’il se dirigeait vers l’aeroport pour des formalités de voyage à destination de Niamey. Plus recémment encore, en janvier 2024, une quantité de 1400kg d’or a été saisie à l’aeroport d’Adis Abeba en provenance du Niger. Cette affaire a créé une vive polémique au sein de l’opinion. Les autorités avaient alors procéder au remplacement du personnel en poste à l’aéroport et promis une enquete sur l’affaire. A l’heure où nous écrivons ces lignes, on attend toujours les résultats de l’enquête.
Exploitation et Maltraitance et Abus!
« Nous travaillions dans des conditions très atroces », rapporte Mahamadou Ibrahim originaire de Guidan Roumdji, région de Maradi. Celui-ci a travaillé sur plusieurs sites notamment Komabangou et Djado, « je n’ai jamais vu un site aussi difficile que celui de Djado » précise-t-il. Selon lui, la principale difficulté « c’est l’insuffisance voire l’absence d’eau », « On ne pouvait ni se laver, ni laver ses habits ». A titre illustratif, le bidon d’eau de 25 litres pouvait aller jusqu’à 5 mille francs. Selon Najib Harouna, les gens sont exposés à tous les risques, « D’abord, vous n’avez aucun abri. Ce sont des hangars de fortune, construits avec de la paille renforcée avec du plastic. En cas de précipitation, toute la pluie se déverse sur vous et vous entendez tous les temps des coups de feu aux alentours. A cela s’ajoute aussi la maltraitance et l’exploitation. « Certains propriétaires de puits, prennent des gens pour les conduire en brousse, faire une semaine ou deux semaines en train de creuser, si vous n’avez rien trouvé, vous ne pouvez pas partir, à moins de leur payer ce qu’ils ont dépensé pour vous ». Il y a donc sur les sites d’orpaillages des véritables violations des droits de l’homme. A en croire notre témoin :« Il y a d’autres qui torturent, ils vous attachent à la fin de la journée pour vous relâcher le lendemain pour reprendre le travail. Pire, même en cas de mort ou de maladie, vous êtes abandonnés à vous-même, « lorsqu’ils creusent leurs trous en profondeur, il n’y a pas de mesures pour les sécuriser. Parfois [il y a des éboulements], c’est seulement le nombre des chaussures qui renseignent sur le nombre des personnes qui y sont restées », témoigne Mounkaila Harouna, acteur de la société civile à Tillabery. Selon Harouna Najib, « Il y a tout le temps des évacuations à partir des autres sites des alentours, des morts et des blessés ».
Des pratiques corruptives bien ancrées :
Des pratiques corruptives qui se sont développées au fil du temps sur les sites d’orpaillage, facilitent également la contrebande de l’or. Les chercheurs Abdoulaye Seydou et Djafarou BOUBACAR ZANGUINA (U.A.M), rapportent dans un article scientifique (Avril, 2022), que ‘’l’interaction entre les orpailleurs et les agents contrôleurs (agents des ministères des mines et de l’environnement ainsi que les policiers du commissariat de Koma Bangou) est porteuse d’arrangements corruptifs dissimulés”. Le code minier du Niger exige (à son article 43), de toute personne physique ou morale, “ l’autorisation d’exploitation ’’ pour extraire un minerai. Selon Harouna Najib, sur le site de Djado, “les gens ne prennent aucune autorisation pour exploiter les mines. Ils viennent s’installer et commencent leur orpaillage. Selon Mounkaila Harouna « Il y a tellement des dangers…c’est au sein même du village qu’ils font leur installation et font l’utilisation de produits chimiques. Eux-mêmes ne sont pas protégés et ils n’essaient pas de protéger la nature ». Dans l’article cité plus haut, les chercheurs rapportent que les orpailleurs « mobilisent des sommes importantes pour corrompre les contrôleurs et contourner les normes de conduite sur les sites d’exploitation ».
Une contrebande qui profite aux groupes armés
La faiblesse, voire l’absence de l’Etat dans ce secteur, favorise les groupes armés qui sévissent dans cet espace. Il s’agit en particulier des acteurs du grand banditisme dans le nord du pays ou encore des groupes armés terroristes dans l’Ouest. Un rapport d’enquête publié par the Global initiative against transnational organized crime, en août 2022, sur le JNIM au Burkina Faso, souligne que ‘’ l’exploitation artisanale de l’or semble être une importante source de revenus pour les groupes armés. C’est aussi un moyen incontournable de se faire accepter localement”. Mounkaila Harouna rapporte que sur certains sites “ C’est eux qui font la loi. Parfois ils laissent même les gens exploiter, et lorsqu’ils constatent que la mine commence à donner, ils demandent aux gens de quitter les lieux et leur prennent tout ce qu’ils ont eu’’. Le rapporte cité plus haut explique que “ une fois le contrôle des sites miniers pris, le JNIM a demande aux mineurs des contributions inférieures à celles des Dozos (groupe des chasseurs) en échange d’une garantie de sécurité”. Plusieurs incidents révèlent des altercations entre les mineurs, les groupes terroristes et forces armées régulières. En Octobre 2022, lors d’une mission de ratissage, sur la base des renseignements, l’armée nigerrienne a ciblé le site de Tamou qui abriterait des terroristes, venus se cacher dans les mines. Le mouvement M62 avait alors contesté la version de l’armée, soulignant qu’il s’agissait plutôt des mineurs. C’est donc une situation difficile que vivent les populations de ces zones, pris en étau entre les forces armées régulières et les groupes armés terroristes. Cela a beaucoup appauvri les populations de la zone, dont la plupart ont préféré quitter les lieux. The Global initiative against transnational organized crime souligne dans son rapport que les groupes armés s’appuient sur le même système que les orpailleurs pour vendre l’or à « des négociants basés à proximité des sites, qui le revendent ensuite à des négociants secondaires, dont beaucoup sont basés au Mali, au Bénin ou dans d’autres États voisins. Ces commerçants le revendent ensuite à des acheteurs implantés dans les capitales régionales, qui l’exportent à leur tour vers des acheteurs à l’étranger, le plus souvent à Dubaï. Chaque acheteur préfinance le précédent dans la chaîne d’approvisionnement, mais celle-ci est suffisamment longue et complexe pour que les acheteurs situés plus haut dans la chaîne puissent éviter de vérifier la provenance de l’or ”
Faiblesse de l’Etat: Véritable obstacle à la régularisation du secteur!
Malgré les professions de bonne foi de la part des autorités, nos Etats n’arrivent pas à régulariser ce secteur. A tittre illustratif, en 2022, le site de Djado a reçu la visite de l’ancienne ministre des mines. De plus, récemment encore, le gouverneur de la région d’Agdez et l’acteul ministre des mines ont rendu des visites sur ces sites. Ils ont sensibilisé les orpailleurs sur les risques de cette acitivité et la necessité que l’Etat puisse rentrer dans ces droits. Toutefois, l’orpaillage continue sur ces sites jusqu’aujourd’hui.
Une enquête réalisée par AMMA Moussa