En ce début septembre 2024, des pluies torrentielles continuent d’engendrer des véritables catastrophes naturelles dans la plupart des régions du Niger. Pour l’instant, le bilan provisoire à la date du 04 Septembre 2024, fait état de 273 morts dont 121 par noyade et 152 par effondrement ainsi que 710 767 sinistrés. C’est le bilan le plus lourds dans l’histoire des inondations au Niger et il reste encore un mois et demi avant la fin de la saison.
Au Niger, l’hivernage occasionne chaque année, des dégâts importants, notamment des pertes en vies humaines et animales ainsi que l’inondation des espaces de cultures, engendrant des sérieux déficits céréaliers.
Symbole de ce phénomène, la ville de Guidimouni (région de Zinder, au Sud-Est du Niger), confrontée depuis trois ans, à des inondations récurrentes. Des inondations qui compromettent la production céréalière la zone, jadis reconnue pour son abondance en produits agricoles.‘’ A l’allure où les inondations avancent, nous ne sommes pas sûrs que les espaces que nous avons cultivés cette année, le seront l’année prochaine. On attend voir ce que Dieu fera’’. Ainsi parle Souleymane Elh Alka, agriculteur de la commune rurale de Guidimouni. Il fait partie des victimes des inondations de 2022 et 2023.
Le sentiment d’angoisse et de résignation qui anime Souleymane, est largement partagé par les paysans de cette commune, considérée comme un poumon agricole de la région de Zinder. Habou Issoufou, sexagénaire, natif de la même ville témoigne : « Guidimouni était une référence en matière d’agriculture, mais aujourd’hui cela n’est plus le cas…du fait des inondations ».
La carte ci-dessous donne un aperçu global sur l’évolution des pertes d’espaces de culture, suite aux inondations intervenues au Niger depuis 1998.
Selon les données de la chambre régionale d’Agriculture de Zinder, en 2019, la production agricole de Guidimouni s’élevait en moyenne à plus de 13.000 tonnes.
Cependant, les inondations de ces deux dernières années ont gravement impacté l’agriculture dans la ville « On faisait les cultures hivernales et les cultures de contre-saison (jardinage). Maintenant les eaux ont tout inondé, on ne peut cultiver ni en hivernage, ni en contre saison », Rapporte Badamassi Oumarou Sarkin Aska. La chambre d’Agriculture de Zinder précise qu’avant les inondations de ces dernières années, 550 hectares étaient cultivés dans cette commune. Toutefois, selon le chef de canton Souleymane Yahaya, une quantité importante des espaces cultivables a été engloutie par les eaux « Ces deux à trois dernières années, l’eau vient complétement inonder toute la rive de la marre. Environ 90% de l’espace cultivable est inondé. Et c’est un sérieux problème pour nous. C’est toute la région de Guidimouni et ses villages qui sont menacées ».
Les données du ministère des Affaires humanitaires, rapporte qu’en 2022, la région de Zinder a enregistrés le plus lourd dégât en termes de pertes d’espaces de culture, liée aux inondations en dehors des régions du fleuve (soit 561 hectares de cultures inondés).
Plusieurs facteurs expliquent la récurrence de ce phénomène d’inondation selon les spécialistes, le premier, étant la mauvaise répartition des pluies dans l’espace et dans le temps. En d’autres le changement de comportement de la pluie : au lieu qu’elles tombent de façon graduelle et à des endroits différents, on observe de plus en plus, des quantités de pluies se déversant sur un temps relativement court. « La quantité est à peu près la même, mais le nombre d’évènements n’est pas le même. C’est pour cela qu’aujourd’hui les pluies sont de plus en plus grosses. Il pleut 60 à 70 mm en seul evenement » préciseDr Malam Moussa Bassirou, géographe, maitre de conférence à l’Université André Salifou de Zinder.
A titre illustratif, en Juillet 2022, 267 mm ont été enregistrés en un seul événement pluvieux à Hamdara (5 km de Guiduimouni). Pour cette année également, les précipitations enregistrées dans certaines localités situées dans la même commune, en ce début Aout, avoisinent les 200mm. Ces quantités de pluie représentent à près de 5 à 6 fois les hauteurs moyennes normales.
Des déficits céréaliers importants !
L’impact des inondations sur le déficit céréalier au Niger a été mis en évidence par plusieurs études. Une étude des chercheurs des trois universités publiques du Niger, publiée en 2020, dans les régions à fort potentiels agricoles (Maradi, Tillabery et Tahoua), montre que les inondations contribuent à hauteur de 24,8% à l’insécurité alimentaire du fait notament des déficits céréaliers qu’elles engendrent.
Une autre étude, réalisée par le Système d’Alerte Précoce du ministère des affaires humanitaires, publiée en 2018, précise que 35% de la population nigérienne est en insécurité alimentaire chronique, soit près de dix millions de personnes (Projection, à partir des données démographiques de 2012).
Depuis trois ans, la commune de Guidimouni, connait régulièrement, des inondations qui affectent la production agricole de la ville. De l’exportation à l’autosuffisance, la ville est aujourd’hui passée à une situation de déficit céréalier chronique, se traduisant par une baisse de production, « avant je cultivais trente jardins, maintenant il ne me reste que trois. Je cultivais sept champs, mais maintenant une grande partie est inondé » précise Maman Siradji Amadou agriculteur de la zone, ajoutant que « chaque fois que l’eau passe sur les cultures, nous sommes obligés de reprendre les semis ». A titre d’illustratif, ce paysan rapporte qu’avant les inondations, ilpouvait récolter jusqu’à cinquante à soixante paniers. Mais maintenant, il arrive à peine à trouver sept à dix paniers.
L’agriculture et l’élevage constituent les deux piliers de l’économie nigérienne. Selon la F.A.O, en 2022, 70,89% des nigériens dépendent de l’agriculture, pourtant la production céréalière du pays n’a jamais dépassé 7 millions de tonnes.
Une étude pluridisciplinaire, publiée en 2021, dans le cadre du projet ANADIA2 (projet de recherche, piloté par l’Institut de Bioéconomie du Conseil National des Recherches d’Italie), sur les inondations enregistrées durant la période 1998-2020, montre que les inondations ont occasionné des « pertes d’environ 205 000 hectares de cultures », soit l’équivalent de près de 2 % de l’espace sous production céréalière du Niger.
Ces pertes d’espaces de cultures ont notamment connu des pics en 2012, 2015 et 2020 qui corresponent aux années durant lesquelles les inondations ont été les plus dévastatrice.
Les eaux de pluie dont on a tant besoin pour la production céréalière deviennent un obstacle à la production agricole en détruisant les espaces de cultures. Selon l’agroéconomiste Maigana A.Razak de l’ONG Karkara, les pertes d’espaces de cultures, sont dues à « l’hydromorphie des sols». Ce phénomène intervient « lorsque les parcelles sont inondées, les sols deviennent engorgés, ce qui peut asphyxier les racines des plantes cultivées et l’oxygène nécessaire à la respiration de ces cellules est réduit ». La combinaison de ces facteurs contribue à la perte du rendement des cultures affectées selon les variétés de cultures « si l’inondation n’est pas tout à fait effective, il y’aura certes des rendements, un pourcentage peut être récupéré, d’autres plantes peuvent résister mais toujours le rendement escompté ne sera pas atteint ».
Excès d’eau, cultures détruites !
Une étude réalisée par le chercheur Assad Bori (de l’école de statistique ENSA, d’Abidjan), a démontré que le mil, le sorgo, le niébé et l’arachide qui sont les céréales les plus cultivés au Niger, ont été les plus affectées lors des inondations de 2020, comparativement au maïs et au riz.
Pour l’instant, l’Etat du Niger n’a pas encore de politique claire visant à juguler ce fléau de façon pérenne, toutefois, un programme national dit « de la grande irrigation » a été lancé, il y’a quelques mois par les autorités de transition militaire.
En attendant, le ministère de affaires humanitaires se mobilise pour trouver les ressources nécessaires à la prise en charge des sinistrés. Toutefois, les chercheurs préconisent entre-autres solutions : le respect strict des schémas d’aménagement fonciers dans chaque localité notamment la non occupation des zones inondables, la mise en place des semis résistant à l’excès hydrique, le désensablement des cours d’eau et la maitrise des eaux des pluies.
Article réalisé par Moussa AMMA dans le cadre du programme de formation en Datajournalisme, 2ed de l’Ejicom-Dakar Sénégal.